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27 janvier 2023

Sécurité privée et action dans l’espace public : la crainte des milices privées est-elle justifiée ?

Bien que posée d’une façon telle qu’elle pourrait provoquer une énième controverse entre stricts défenseurs du service public et partisans d’une nouvelle extension des prérogatives des agents privés de sécurité, la question invite naturellement à instaurer des garanties de professionnalisme et à réaffirmer des principes clairs de répartition des champs de compétences. En ce sens, pour définir un cadre juridique adapté aux exigences éthiques d’un état de droit et aux besoins pratiques du secteur privé de la sécurité, il faut avoir sans cesse à l’esprit la crainte de voir apparaître des milices privées. Cette approche invite donc à définir ce que la sécurité privée ne doit pas être pour qu’elle puisse prendre son essor et la mesure du rôle qu’elle ne manquera pas d’assurer dans les années à venir.

Les risques inhérents à un encadrement insuffisant du secteur ne doivent pas être ignorés. Cependant, paradoxalement, ils ne font pas obstacle au développement du secteur, y compris dans l’espace public.

I. Un encadrement rigoureux protège des écueils et des critiques inévitables

La crainte des milices privées constitue un invariant particulièrement sensible dans notre pays, le rappel de l’effectivité du contrôle permet d’en limiter la portée.

A. Les représentations négatives et les qualificatifs dédaigneux ne se tariront pas…

En droit criminel, « une milice (du latin miles, soldat) est constituée d’un groupe d’hommes armés, fortement hiérarchisé, qui évoque dans sa structure et par son fonctionnement une formation militaire »1.

Au sens moderne, la neuvième édition du dictionnaire de l’Académie française définit la milice comme étant le « nom donné, dans certains pays, à diverses forces de police supplétives chargées de la sécurité intérieure de l’État » puis, par analogie, à des « formations paramilitaires constituées illégalement à des fins particulières ou dans des circonstances exceptionnelles, pour défendre par la violence des intérêts privés. » Les exemples donnés par la vieille dame du quai Conti illustrent en particulier la connotation péjorative et malsaine : milices privées, milice patronale et pire encore la Milice française, ou la Milice, créée en 1943 par le régime de Vichy pour combattre la Résistance.

De bonne foi ou de façon partisane, le risque de voir se développer des « milices privées » sera inévitablement brandi avec tout le poids de la connotation péjorative liée à l’Histoire et à l’infamie de la triste Milice française du régime de Vichy. L’actualité de l’image de véritables milices privées dans le champ militaire (cf. le groupe Wagner) renforce la sensibilité du sujet.

B. … malgré l’effectivité du contrôle

Pour les cas extrêmes, le droit positif qui permet la dissolution par décret en Conseil des ministres de « toutes les associations ou groupements de fait […] qui présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées »2 incrimine aux articles 431-13 et suivants du Code pénal l’organisation d’un groupe de combat et le fait d’y participer, son maintien et sa reconstitution.

Le juge constitutionnel exerce quant à lui un contrôle vigilant des évolutions du cadre juridique global. S’agissant du domaine d’intervention, il a émis par exemple des réserves d’interprétation sur les dispositions de la loi de sécurité globale en affirmant que la « surveillance itinérante ne saurait, sans méconnaître les exigences de l’article 12 de la Déclaration de 1789, s’exercer au-delà des abords immédiats des biens dont les agents privés de sécurité ont la garde »3. En matière de compétence, il est particulièrement symbolique que le premier principe inhérent à l’identité constitutionnelle de notre pays affirmé par le Conseil constitutionnel soit « l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la “force publique” nécessaire à la garantie des droits. »

Enfin, au quotidien, l’encadrement du secteur de la sécurité privée s’organise sous l’égide du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) créé en 2011, qui exerce une mission de police administrative (la délivrance des autorisations pour les personnes morales et physiques), une mission disciplinaire (respect du livre VI du Code de la sécurité intérieure) et une mission de conseil et d’assistance à la profession.

II. L’espace public n’est pas exclu du champ d’activité des entreprises de sécurité du secteur privé

L’espace public est déjà ouvert aux entreprises du secteur et le respect scrupuleux du cadre juridique permet d’augurer de nouvelles opportunités. La vigilance nécessaire pour éviter de voir surgir des pratiques contestables ou simplement illégales ne constitue pas un obstacle, mais une condition du développement.

A. Un champ d’activité d’ores et déjà ouvert…

Dès aujourd’hui, des entreprises du secteur travaillent dans l’espace public pour des missions de sécurité précises. Les forces de l’ordre régaliennes ont été désengagées de plusieurs tâches, de la plus anodine à d’autres plus sensibles. On peut citer en matière de sécurité sur les routes l’externalisation des escortes de convois exceptionnels et de l’encadrement de courses cyclistes. En matière événementielle, les manifestations festives ou sportives sur la voie publique et les dispositifs qui nécessitent en amont de l’entrée du site un contrôle des enceintes permettent aux agents privés d’effectuer une inspection visuelle des sacs, la fouille et la palpation de sécurité, sous réserve de l’agrément de la personne contrôlée et de la surveillance d’un officier de police judiciaire.

Désormais, avec la réserve susmentionnée (extension limitée « aux abords immédiats ») et en vertu de l’alinéa 2 de l’article L. 613-1 du Code de la sécurité intérieure, les agents privés de sécurité « à titre exceptionnel […] peuvent être autorisés, par le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, par le préfet de police, à exercer sur la voie publique des missions, même itinérantes, de surveillance contre les vols, dégradations, effractions et actes de terrorisme visant les biens dont ils ont la garde ».

B. …appelé à se développer sous condition

On ne peut guère douter que l’expansion du secteur privé de la sécurité soit une tendance lourde. Au-delà du calendrier des grands évènements programmés en 2023 et 2024 dans notre pays, le continuum de sécurité qui rapproche d’ores et déjà secteur privé et secteur public est un concept appelé à s’inscrire dans la durée. Dans ce cadre, les entreprises privées de sécurité doivent relever un défi quantitatif et qualitatif. C’est toutefois l’exigence de qualité qui prévaut et doit se traduire par la rigueur dans le recrutement, la formation et des salaires en conséquence. Ce sont précisément des enjeux qui sont de nature à évacuer les risques d’un professionnalisme défaillant. Du côté des pouvoirs publics, le CNAPS avec ses délégations zonales et outre-mer et les associations professionnelles qui l’appuient sont en mesure de participer à cette expansion. Le professionnalisme sera également conforté par des parcours de formation allant au-delà du secondaire et adaptés à la constitution d’une maîtrise et d’un encadrement4 assurant le respect des obligations déontologiques définies aux articles R. 631-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure.

Sous le contrôle du juge et en l’état de notre dispositif légal et réglementaire, le risque d’apparition de milices dans le secteur de la sécurité privée paraît très improbable, voire ridicule pour certains. Se poser la question ne sera pas cependant jamais inutile et nous garantit de garder à l’esprit la vigilance nécessaire en la matière.

 

Par Didier Joubert

Commissaire général, professeur associé à l’université de technologie de Troyes, chargé d’enseignement à l’université Lyon 3 et à l’Académie de police du Liban

 


1 Jean-Paul Doucet, Dictionnaire de droit criminel, définition de « milice privée » : https://ledroitcriminel.fr/dictionnaire/lettre_m/lettre_m_mi.htm

2 Article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure

3 Conseil constitutionnel, décision no 2021-817 DC du 20 mai 2021 concernant la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, paragraphe 59

4 Le master Ingénierie et management en sécurité globale appliquée de l’université de technologie de Troyes, éligible au CPF, accessible en formation continue et en alternance (contrat de professionnalisation ou contrat d’apprentissage), en constitue l’archétype.

Pré-inscription à la formation

Formation non définie