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4 avril 2023

Innovation de rupture ou progrès continu, quelle voie choisir ?

Pierre-Louis Desprez / Associé Kaos Consulting

Nous connaissons tous l’histoire de la grenouille tombée dans une casserole d’eau tiède. Au fur et à mesure que l’on augmente le feu sous la casserole, la grenouille s’y assoupit. Elle finit ébouillantée. Par analogie, les démarches de progrès continu présentées comme de l’innovation robuste, sûre et bien préférable aux délires de l’innovation de rupture peuvent avoir le même effet néfaste : les équipes s’enferment dans les rituels qualité et autres améliorations « epsilonesques », désertant les brainstormings où l’on fume la moquette, où rien n’est concret et où rien ne débouche jamais sur rien.

Préférez-vous répéter ou créer ?

Nous avons tous nos taches aveugles. La première d’entre elles est de ne pas prêter attention à ce que l’imagination est capable de produire, aux idées nouvelles, et donc jamais mises en œuvre, qui nécessitent de plonger dans l’inconnu – en bref, d’entreprendre, ce qui est quand même la raison d’être de toute entreprise et de tout entrepreneur ! Pour beaucoup, mieux vaut améliorer ce qui existe déjà, comme le font La Redoute et les 3 Suisses, les deux grands vépécistes qui ont été rivaux pendant des décennies. Chaque année, ils ajoutaient des pages à leur catalogue, rationalisaient les achats en Asie et la logistique, faisaient la chasse aux coûts cachés et outsourçaient tout ce qui pouvait l’être pour faire porter les stocks et les charges par les fournisseurs. Puis, la Redoute s’est réinventée en abandonnant le catalogue et en copiant la place de marché d’Amazon ; elle s’est concentrée sur les catégories produits rentables. Les 3 Suisses, eux, ont vu leurs boutiques être fermées par leurs actionnaires. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir fait du progrès continu et de l’excellence opérationnelle un credo managérial répété à l’envi. On ne dira jamais assez qu’il ne suffit pas de bien faire le métier et qu’il est toujours préférable de faire le bon métier…

L’idéal est évidemment de faire le bon métier mieux que les concurrents !

Bien faire le bon métier est une autre façon de parler d’innovation : c’est moins dans l’air du temps, c’est en apparence plus rassurant, mais c’est archi poil à gratter.

 

Faites-vous le bon métier ?

Quand on décortique le modèle des champions de la croissance durable sur plusieurs décennies, on trouve des entreprises qui ont été capables de combiner démarches de progrès continu et démarches d’innovation, soit collaboratives, soit par fusions-acquisitions, soit en mélangeant les deux leviers interne et externe. Ils ont dans leur ADN la culture du changement et de l’expérience. Comme le clamait haut et fort Pierre Bellon, leur credo ressemble à un cri de guerre paradoxal : « Au secours, tout va bien ! » Leur secret est de ne pas opposer qualité et rupture, mais d’osciller entre ces deux polarités. Cela ne se fait sans doute pas avec la même intensité : une fois que l’on tient une rupture d’offre ou de modèle économique, on accroît la performance par de l’excellence opérationnelle. L’innovation n’est pas un gâteau que l’on partage en parts égales. Ce serait plutôt 80 % d’excellence opérationnelle et 20 % de réinvention permanente de son modèle, et donc de son avenir. Je ne connais rien de plus dangereux que les visions gravées dans le marbre, ou tellement généralistes qu’elles peuvent convenir à tous les concurrents d’un même secteur. Il est sûrement plus efficace d’écouter les experts en génétique qui nous apprennent que notre ADN est programmé à 15 % et que les 85 % restants sont réservés à son adaptation. Ces 85 % nourrissent les recherches dites d’épigénétique : elles concernent le contexte, l’environnement cellulaire au sens large, par opposition à l’héritage génétique intrinsèque.

 

Appliquée à l’entreprise, l’analogie est éclairante : combien de temps et d’énergie sont consacrés à se réimaginer ? Le leader est le premier moteur ou le premier frein du « reset » régulier du modèle économique de l’entreprise. Tout dépend donc de son degré d’aversion au risque et, pour être plus précis, de son aptitude personnelle à affronter l’inconnu ou à préférer la répétition. On ne fait pas aboyer un chat : à chacun de se connaître et de savoir s’entourer de compétences réellement complémentaires, et non pas déclarées comme telles. De l’actionnaire jusqu’aux équipes terrain, la règle est valable. L’une des lois pour produire de l’innovation à court, moyen et long terme est la diversité humaine. Pour innover en entreprise, qui se ressemble se menace, et qui ne se ressemble pas se complète.

Apprenons à identifier la dynamique des champions qui innovent et transposons-la dans l’entreprise.

Comme cela faisait longtemps que nous n’avions pas parlé de lui, observons Netflix. D’abord spécialiste de la location de cassettes vidéo par correspondance, l’entreprise a trouvé en 1997 le moyen de satisfaire le besoin de divertissement des clients sans se mettre sur le dos la charge d’un réseau de distribution de boutiques de location. Dématérialisée dans ses 15 % d’ADN stables, Netflix a tout de suite compris l’avantage mondial du streaming : pouvoir délivrer un film à la demande, n’importe où, n’importe quand et sur un écran TV, une tablette ou un smartphone. Et puis, le distributeur-logisticien a réalisé que l’audience et la récurrence d’achat se construisaient en créant des contenus divertissants (films et séries), en compétition avec le cinéma et les téléfilms des chaînes de télévision. Netflix est arrivé à Cannes depuis 2010 avec des séries faites maison. Demain, quel futur pour cette firme face à Amazon Video, Apple TV et Disney ? Il leur faut encore se réimaginer, sans lâcher l’excellence opérationnelle (des séries toujours meilleures, une définition toujours plus élevée, un son toujours « cinéma »). L’entreprise ira-t-elle vers la musique comme elle est allée vers le jeu vidéo ? Un réseau social d’un nouveau genre pour concurrencer YouTube et TikTok ? Le lancement de services BtoB fondés sur les IA, grâce au know-how acquis sur cent vingt millions de clients ?

 

Oublions la taille de cette entreprise et de son portefeuille client, et retenons sa capacité à toujours mieux faire ses métiers (excellence opérationnelle) et à se positionner en permanence sur le bon métier (réimaginer son futur). Y a plus qu’à…

 

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