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29 mars 2022

Service 4.0 : quand l’intelligence humaine coopérera avec les intelligences artificielles

Quatre questions se posent pour définir le « service 4.0 » et ses enjeux.

Tout d’abord, de quoi s’agit-il ?

Il s’agit bien évidemment d’une nouvelle révolution de l’industrie qui mute en industrie 4.0 : les services doivent s’adapter à cet environnement inédit, intelligent, digitalisé, « big-data-isé » et interconnecté, sous peine de devenir obsolètes en très peu de temps.

De nombreux sites de production se reconfigurent avec davantage d’intelligence artificielle et d’interconnexions à tous les niveaux du processus. Le but est d’adapter en temps réel l’outil aux commandes des clients ; aux capacités de toutes les usines d’une même entreprise ; à la variation des coûts d’énergie et de matière première ; à la disponibilité des approvisionnements et des ressources humaines ; aux conditions logistiques ; aux contraintes de maintenance ; aux aléas qui surviennent, etc.

Qu’elles travaillent dans la propreté, la sécurité, la maintenance, l’ingénierie, les bureaux d’études, les SI, etc., les sociétés de services les plus innovantes sont déjà en train d’ajuster leur offre pour répondre à la nouvelle demande des industriels. Elles y voient une opportunité de se différencier de leurs concurrents, surtout lorsque certains compétiteurs refusent d’intégrer l’I.A. à leur offre, par méconnaissance ou par peur, voire pour des problèmes de coûts. Quand une révolution technologique est là, il ne faut pas se demander s’il faut y aller ou non, mais plutôt comment le faire !

 

Va-t-on vers des services à technologie augmentée et un humain diminué ?

On pourrait craindre que le but du 4.0 est de se passer de l’humain : pourquoi lui confier des tâches que les robots et les I.A. feront mieux que lui ? Pourtant, il n’est pas du tout certain que l’humain soit le maillon faible dans ce nouveau processus, sauf si on ne le forme ni l’accompagne jamais – ce qui serait totalement contraire à la demande du marché, aux missions des DRH et aux besoins d’employabilité de toute entreprise.

L’Internet des objets supportera moins bien que les humains les aléas des réseaux, les bugs d’interconnexion et les mises à jour système. De son côté, l’Homme n’a jamais cessé de s’adapter aux outils et aux technologies, puisque c’est lui qui les invente. Ce serait donc un aveuglement historique que de croire que l’I.A. se passera de gens compétents, réactifs, créatifs et en capacité de gérer des situations critiques.

Pour les sociétés de service qui se concentrent sur le potentiel humain plutôt que sur sa soi-disant résistance au changement, il y a des innovations à lancer : former autrement, travailler et s’organiser différemment avec des I.A., donner de nouvelles formes de reconnaissance, recruter, motiver et intéresser d’une autre façon.

 

Y aura-t-il un retour de l’attractivité pour des services considérés aujourd’hui comme basiques ?

Notre conviction est forte : l’usine intelligente ne supportera pas des services avec une révolution de retard. Dans ce contexte technologique, certains services qui n’attirent pas les foules à l’embauche pourraient bien reconquérir une désirabilité perdue : collaborer avec un robog (un chien robot, même si l’usine 4.0 n’est pas Black Mirror !) – osez me dire que cela n’attirera pas les générations qui passent des nuits blanches sur les jeux vidéo ! –, nettoyer, sécuriser, maintenir des machines industrielles sophistiquées en disposant soi-même d’outils de propreté, de sécurité et de maintenance dotés d’I.A. – les tâches resteront-elles basiques avec ça ? –, contribuer au bon fonctionnement d’une usine intelligente – dites-moi que cela ne motivera pas des équipes !

 

Les clients industriels paieront-ils les coûts d’adaptation des entreprises de service et de leurs sous-traitants ?

Il ne faut pas rêver : il n’y aura pas d’autre augmentation des prix que celle de l’inflation. Mais l’industrie 4.0 sera prête à payer pour des résultats, pour une contribution à ses performances, et non pour des commodités qui pèsent sur ses charges. Il faudra lui vendre des bénéfices clients sans plus penser en matière de personnel affecté ou d’addition de moyens. Le service 4.0 a besoin d’un nouveau modèle économique, de gestionnaires qui pensent autrement et fixent un prix en cherchant la valeur qu’ils produisent chez leurs clients industriels. Les acheteurs des sociétés industrielles ne resteront pas sourds au calcul des gains.

Identifier les bénéfices d’un service délivré n’est pas évident. Il faut opérer une révolution mentale, voir le monde avec les yeux de l’utilisateur et du payeur, et non pas du fournisseur. Depuis plus de dix ans, Michelin vend aux transporteurs des kilomètres, non des pneus ; Schindler est passé d’une logique de fabricant industriel à celle d’une société d’ingénierie et de services qui vend des heures d’usage de ses ascenseurs. Ce ne sont pas les transporteurs ni les gestionnaires des tours de quarante étages qui ont eu cette idée, mais leurs fournisseurs. Il en ira de même pour les services 4.0 : il sera nécessaire de se mettre à la place des clients et d’identifier leurs risques et leurs contraintes pour innover.

 

Pour terminer, prenons du recul : le monde entier pourra-t-il s’adapter à cette logique du 4.0 ?

Non, si l’on en croit Kai-Fu Lee qui, dans un ouvrage saisissant[1], nous donne à voir nos vies et notre travail dans un monde où fonctionneront des milliards d’I.A. Cet ingénieur, qui a travaillé dans la Silicon Valley chez Apple et Google, puis dans son pays d’origine, la Chine, où il est devenu investisseur, imagine une société divisée en deux : une partie en surface, dans les tours, avec des équipes qui se sont adaptées aux I.A., et une autre en sous-sol, avec une armée de l’ombre occupée à gérer des flux non valorisés (rejets, saletés, acheminement des énergies et des flux, etc.).

C’est ce qui pourrait se produire si nous renoncions à l’innovation, en séparant en deux les métiers de service : ceux qui sont éligibles à l’I.A. et au 4.0, et ceux qui ne le sont pas. Vision statique, et non entrepreneuriale. Pourtant, entreprendre, c’est faire bouger les lignes ; ce n’est pas accepter que quelqu’un d’autre vous dicte votre futur !

Des tailleurs sur mesure se sont réinventés en proposant un service totalement dématérialisé : le client entre ses mensurations sur une page web, envoie une photo et une vidéo, choisit son tissu et décrit l’usage qu’il fera du vêtement. Quelques jours plus tard, il reçoit chez lui un costume sur mesure à un prix abordable. Ce n’est pas un tailleur traditionnel qui se trouve derrière l’écran, mais quelqu’un qui gère la relation client à l’aide d’une I.A. La fonctionnalité demeure et les modalités de fabrication ont été complètement révolutionnées. Un exemple dont devraient s’inspirer les entreprises qui pensent qu’elles délivrent des services basiques avec des gens basiques. On n’a jamais créé de valeur en rabaissant son métier et l’humain qui l’exerce.

 

Pierre-Louis Desprez

Associé de Kaos Consulting

[1] I.A. La plus grande mutation de l’histoire – Comment la Chine devient le leader de l’intelligence artificielle et comment nos vies vont changer. Kai-Fu Lee (Éditions Les Arènes, 2019). Kai-Fu Lee est un ingénieur informatique qui a travaillé plus de vingt ans dans la Silicon Valley, puis autant en Chine. Il est devenu expert en I.A.

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