Par Guillaume Farde, professeur à Sciences Po Paris
Apparue en Grande-Bretagne en 2009 pour y dénoncer les députés et ministres qui avaient bénéficié du remboursement de leurs dépenses personnelles par le Trésor public britannique, le name and shame est une pratique consistant à diffuser publiquement les noms de personnes jugées malhonnêtes ou corrompues. Alors que ce procédé ne concernait, à l’origine, que la seule classe politique, il s’est rapidement étendu aux entreprises dont les pratiques commerciales sont présumées non conformes à l’éthique des affaires (retards et/ou défauts de paiement).
En France, le quinquennat de François Hollande a été propice au développement de ce procédé. Tout d’abord, sur le fondement de la loi Savary du 10 juillet 2014, le ministère du Travail a, le premier, publié une liste d’entreprises non vertueuses en matière de droit du travail et qui avaient recours, notamment, au travail dissimulé. Deux ans plus tard, la loi dite Sapin II du 9 décembre 2016 consacre la pratique du name and shame en droit commercial et l’article L470-2 du Code de commerce prévoit désormais que la décision de sanction prononcée par l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation « peut être publiée sur le site internet de cette autorité administrative et, aux frais de la personne sanctionnée, sur d’autres supports ».
Dans le cas particulier de la sécurité privée, l’introduction de cette pratique dans la loi no 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés devait participer d’un mouvement plus général de moralisation de la profession. Un an et demi après, les premiers résultats sont timides mais encourageants.
Une mise en œuvre récente à la faveur de la loi sécurité globale
La loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés poursuivait des objectifs de moralisation des activités privées de sécurité et de régulation économique du secteur, dans le prolongement des recommandations du rapport Fauvergue-Thourot du 11 septembre 2018 et du Livre blanc de la sécurité intérieure publié le 16 novembre 2020. Le fait que la qualité d’agent privé de sécurité en exercice constitue désormais une circonstance aggravante en cas de faits de violence commis à son encontre, l’harmonisation des tenues des agents ou encore la limitation de la sous-traitance sont au nombre des mesures les plus emblématiques de la loi.
Mesure passée plus inaperçue, l’autorisation pour le Conseil national des activités privées de sécurité (le CNAPS) de publier les noms des personnes physiques comme morales condamnées à des sanctions pécuniaires ou à des interdictions temporaires d’exercer. L’article 22 de la loi dispose ainsi que « sur décision de la commission d’agrément et de contrôle territorialement compétente, la sanction consistant en une sanction pécuniaire prononcée à l’encontre des personnes physiques ou morales […] peut […], compte tenu de la gravité des faits reprochés, être publiée en tout ou partie sur le site internet du Conseil national des activités privées de sécurité, sans que la durée de cette publication puisse excéder cinq ans ». De même, « la sanction consistant en une interdiction temporaire d’exercer est publiée sur le site internet du [CNAPS] ».
Dans le prolongement de l’adoption de la loi, le CNAPS a publié, au mois de juin 2022, les sanctions prononcées à l’encontre de quatre dirigeants d’entreprises de sécurité privée par la Commission locale d’agrément et de contrôle (CLAC) Nord. À considérer que ce procédé est appelé à se généraliser, ces quatre premiers dirigeants reconnus coupables d’infractions à la réglementation applicable en matière de sécurité privée sont vraisemblablement les premiers d’une longue série.[1]
Si des voix ont pu s’élever ça et là pour dénoncer la stigmatisation d’individus nommément cités, les premiers retours se veulent encourageants quoiqu’encore timides.
De premiers retours timides mais encourageants
Le marché français des activités privées de sécurité, et singulièrement celui de la surveillance humaine, est caractérisé par une forte compétitivité prix qui tire à la fois les prix et les marges vers le bas. Dans ce contexte, le déploiement d’une stratégie commerciale basée sur la compétitivité hors prix s’avère particulièrement difficile pour les dirigeants d’entreprise tant la demande est peu élastique, au sens économique du terme. Ce faisant, beaucoup de donneurs d’ordre se trouvent en situation d’asymétrie d’information en ce qu’ils sont incapables de discriminer les prestataires selon des critères autres que tarifaires. Cette situation délétère, parfaitement décrite par l’économiste américain George Akerlof, renforce la baisse tendancielle des prix et, plus grave, provoque l’éviction des services de bonne qualité.
Légalisée l’année dernière, la publicité des sanctions est ainsi censée réduire l’asymétrie d’information des donneurs d’ordre, qui pourront, au moyen d’une simple recherche internet, écarter des prestataires non vertueux sanctionnés par le CNAPS. En cela, le name and shame participe d’un mouvement d’assainissement de la profession amorcé en 2012 avec la création du CNAPS et appelé à s’intensifier dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Bien sûr, d’aucuns regretteront la faiblesse des premiers résultats relatifs à la pratique récente du name and shame au regard de l’ampleur de la tâche en matière de régulation du marché de la sécurité privée. Il est toutefois possible d’objecter que la dynamique positive engagée par la loi sécurité globale s’inscrit dans une trajectoire qui, même à petits pas, se veut à la fois résolue et positive pour la profession.
La régulation du marché de la sécurité privée ne se fera pas en un jour et passera par la mise en œuvre d’actions concrètes de nature à écarter et à sanctionner les acteurs non vertueux. À cet égard, la pratique du name and shame n’est pas un remède miracle, mais elle participe d’un traitement général de maux bien connus de la profession. En rassurant les donneurs d’ordre, elle libère de l’espace à des discours commerciaux davantage tournés vers l’humain et la qualité qui, sans être excessivement optimistes ni exagérément naïfs, pourront contribuer au double rehaussement de la qualité des prestations et des niveaux de marge qui y sont associés.