INTRODUCTION
Selon la théorie des firmes formalisée par R. Coase puis développée par O. Williamson, la décision d’externalisation d’une prestation de service répond à un arbitrage économique entre « faire » et « faire faire » ou, autrement dit, entre l’internalisation et l’externalisation, étant entendu que chacune des deux options engendre des coûts de transaction. Appliquée à la sécurité, la théorie des firmes confronte le donneur d’ordres à l’alternative consistant à confier la sécurité des personnes et des biens à des salariés de son entreprise ou, à l’inverse, à privilégier le recours au marché en externalisant ces prestations.
Si le Livre VI du Code de la sécurité intérieure ne définit pas clairement la notion de « service interne de sécurité », il distingue l’interne de l’externe, les prestations internalisées et externalisées obéissant, chacune, à des règles particulières. En France, la majorité des 170 000 agents de la filière de sécurité privée relèvent des prestataires spécialisés et seule une minorité d’entreprises semble avoir choisi de confier ces tâches à certains de leurs salariés, regroupés en services de sécurité internes. Certaines entreprises ont néanmoins décidé de privilégier l’interne à l’externe (les exploitants de centrales nucléaires ou les opérateurs de transport, comme la Société nationale des chemins de fer (SNCF) et la Régie autonome des transports parisiens (RATP)), pour répondre à des problématiques de sécurité spécifiques à leur secteur.
L’arbitrage entre « faire » et « faire faire » : choisir entre service de sécurité interne et externalisation
L’étude du marché français de la surveillance humaine conduit au constat d’une surreprésentation de l’externalisation au détriment de l’internalisation. Ce partage en faveur de l’externalisation est assez peu surprenant en ce qu’il offre à l’entreprise cliente une grande souplesse d’organisation : externaliser c’est acheter une prestation correspondant précisément au besoin et réajustable en fonction des évolutions de l’activité. De surcroît, l’externalisation permet de faire reposer sur le prestataire l’ensemble des formalités et des coûts liés à la formation, à l’équipement ou au recrutement des agents : l’entreprise cliente économise ainsi des coûts de transaction et réalise des gains de masse salariale.
A contrario, disposer d’un service interne de sécurité offre des garanties de fidélisation des agents supérieures, permet de mieux les acculturer aux valeurs de l’entreprise et de leur offrir des opportunités d’évolution professionnelle en son sein. Pour ces mêmes raisons tenant à la fidélisation, certaines entreprises assurent elles-mêmes la formation de leurs agents de sécurité, ce qui leur garantit un meilleur contrôle de son contenu et une plus grande maîtrise des compétences en prise directe avec les enjeux de sécurité inhérents à l’entreprise. Ainsi, le groupe Auchan Retail confie 80% de ses missions de sécurité à son service interne de sécurité et a créé une École de la sécurité pour assurer la formation initiale et continue de ses employés.
Les obligations des services internes de sécurité
Contrairement aux entreprises spécialisées dans les missions de sécurité, les services de sécurité internes aux entreprises ne sont pas tenus de se conformer à toutes les obligations du Livre VI du Code de la sécurité intérieure (article L612-25 du CSI) et obéissent à un régime juridique dérogatoire : ils ne sont pas contraints, par exemple, d’exercer cette activité privée de sécurité à titre exclusif ou de choisir une dénomination les distinguant des services publics.
Les deux obligations principales s’imposant aux services internes de sécurité sont, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un avis du 11 juin 2018, les suivantes :
le service interne de sécurité de l’entreprise ou de l’établissement doit être déclaré auprès de la Commission interrégionale d’agrément et de contrôle territorialement compétente du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS). Celle-ci délivre une autorisation de fonctionnement ;
les employés de l’entreprise affectés, même à titre non exclusif, à des missions de sécurité privée définies à l’article L611-1 du Code de la sécurité intérieure, doivent être titulaires d’une carte professionnelle délivrée par le CNAPS.
La loi pour une sécurité globale préservant les libertés du 25 mai 2021 a néanmoins renforcé certaines obligations pesant sur les services internes de sécurité : ainsi, d’ici au 26 novembre 2022, les dirigeants de ces services devront être titulaires de l’agrément dirigeant prévu à l’article L612-6 du Code de la sécurité intérieure. Par ailleurs, les agents appartenant à des services internes devront, au même titre que l’ensemble des agents exerçant des missions de sécurité privée, porter une tenue comprenant « un ou plusieurs éléments d’identification communs […] sur laquelle est apposé de façon visible un numéro d’identification individuel ».
La spécificité des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP
Le Groupe de protection et de sécurité des réseaux (GPSR) de la RATP et la Surveillance générale (SUGE) de la SNCF, qui sont « chargés, dans le cadre d’une mission de prévention, de veiller à la sécurité des personnes et des biens, de protéger les agents de l’entreprise et son patrimoine et de veiller au bon fonctionnement du service », bénéficient d’un statut à part au sein du microcosme des services internes de sécurité. Si ces derniers sont traditionnellement encadrés par le Livre VI du Code de la sécurité intérieure, le GPSR et la SUGE relèvent, pour leur part, du Code des transports et bénéficient de pouvoirs plus étendus, notamment depuis que ces prérogatives ont été renforcées dans le contexte des attentats de 2015. Ces agents bénéficient par exemple du droit d’intervenir sur la voie publique, alors que cette possibilité est très strictement encadrée pour les autres agents de sécurité privée. D’ailleurs, la loi du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs (dite « loi Savary ») a fortement étendu leurs prérogatives, en leur permettant notamment de procéder à des palpations de sécurité et à des fouilles de bagages avec l’accord des voyageurs.
Plutôt que d’externaliser la sécurisation des personnes et des biens à une entreprise extérieure, certains dirigeants d’entreprise ont doté leur entreprise d’un service interne de sécurité. S’ils semblent peu nombreux à avoir fait ce choix, cela leur permet néanmoins de disposer de salariés connaissant parfaitement les contraintes et les problématiques de sécurité spécifiques à l’entreprise tout en fidélisant leurs agents. Comme pour les autres activités de sécurité privée, ces services sont encadrés par le Livre VI du Code de la sécurité intérieure, même si les obligations qui s’imposent à eux sont moindres. Il serait excessif d’y voir une quelconque concurrence avec les entreprises de sécurité privée ; la pratique montre, au contraire, que quand la cohabitation est instaurée, les performances sont jugées satisfaisantes.
Guillaume Farde
Consultant expert en sécurité et défense
Professeur affilié à l’école d’affaires publiques de Sciences Po
Textes règlementaires relatifs aux services internes de sécurité
Article L611-1 du Code de la sécurité intérieure
Article L612-1 du Code de la sécurité intérieure
Article L612-25 du Code de la sécurité intérieure
Article L617-9 et suivants du Code de la sécurité intérieure
Article L617-13 du Code de la sécurité intérieure
Article R612-7 du Code de la sécurité intérieure
Article R613-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure
Article R613-6 et suivants du Code de la sécurité intérieure
Article R613-16-1 du Code de la sécurité intérieure
Article R613-23-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure
Loi n°2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés
Cour de cassation, Chambre mixte, Avis n°40001 du 11 juin 2018.