Le secteur de la sécurité privée se distingue par la diversité des activités qui le composent. Mentionnées au livre VI du Code de la sécurité intérieure (CSI), ces activités vont de la surveillance humaine aux enquêtes privées, en passant par les activités de protection de l’intégrité physique des personnes et de garde armée à bord des navires. Par souci de lisibilité, l’Observatoire des métiers de la prévention et de la sécurité réalise annuellement une enquête de branche très éclairante sur les caractéristiques économiques du secteur. La dernière, parue ce mois janvier 2022, nous apprend ainsi que sur les 12 300 entreprises enregistrées sous le code APE 8010Z (activités de sécurité privée), seules 3 750 emploient au moins un salarié, preuve de l’atomicité persistante de ce marché.
Alors que la filière célèbre, cette année 2022, les 10 ans de la mise en place du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), les objectifs initiaux de moralisation de la profession et de lutte contre l’atomicité du marché ne sont pas encore atteints. À ce jour, la filière présente toujours les fragilités économiques identifiées il y a dix ans : compétitivité-prix exacerbée, faiblesse des marges, pénurie de main-d’œuvre, etc. En la matière, l’approche d’échéances majeures, telles que la Coupe du monde de rugby de 2023 et les Jeux olympiques et paralympiques de Paris de 2024, appelle l’instauration rapide de mesures correctives par l’État, fondées sur des politiques publiques ambitieuses.
Des fragilités économiques persistantes
12 ans après la publication du rapport Blot-Diederichs, qui appelait à la création d’un établissement public en charge du contrôle de la profession, l’atomicité du marché de la sécurité privée demeure la principale faiblesse structurelle des activités qui le composent.
Au terme de l’enquête de branche précitée, les activités privées de sécurité regroupées sous le code NAF 8010Z emploient, fin 2020, 178 138 personnes réparties dans 12 300 entreprises. Sur ces 12 300 entreprises recensées, près de 8 000 n’embauchent aucun salarié. 70 % des entreprises immatriculées correspondent à des autoentreprises ou à des entreprises unipersonnelles qui ne doivent leur survie économique qu’à la guerre tarifaire qu’elles livrent aux acteurs les plus solides. Ces derniers représentent seulement 43 entreprises de plus 500 salariés (soit 0,35 % des entreprises du secteur) qui ne recrutent conjointement que 48 % des salariés de la filière. Pour leur part, les 14 sociétés de plus de 2 000 salariés se partagent à peine le tiers (29 %) des 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires cumulés de la branche en 2020, signe de l’atomicité démesurée d’un marché qu’aucun acteur ne parvient réellement à dominer.
En 10 ans, l’extrême compétitivité-prix qui caractérise ce secteur ne s’est en rien améliorée. Il y persiste un cercle vicieux d’hyperconcurrence où la baisse des prix s’autoalimente. Cette asphyxie économique des entreprises du secteur de la surveillance humaine (le taux de marge moyen reste de l’ordre de 1 %) complique toute forme d’investissement, notamment dans le capital humain. La filière ne compte que 10 % d’agents de maîtrise et 4 % de cadres. Les perspectives de carrière des agents privés de sécurité sont, il est vrai, limitées. Les CDD représentent 61 % des contrats signés en 2020, année de double confinement, contre près de 75 % en 2019. En tout état de cause, le taux de conversion en CDI reste inférieur à 3 %. La filière est, par conséquent, peu attractive pour les jeunes qui, même s’ils correspondent à 15 % des embauches réalisées en 2020, ne pèsent plus que 7,5 % des effectifs de la profession en fin d’année. Sous forte tension de main-d’œuvre (25 % des entreprises déclarent rencontrer des difficultés de recrutement en CDD, et 29 % en CDI), la filière recourt alors aux salariés de plus de 50 ans dont le taux d’embauche a significativement augmenté en 2020 pour atteindre 21 %, contre seulement 14 % en 2019. Tous âges confondus, le taux d’ancienneté moyen est d’à peine 7,5 ans, preuve de la sous-valorisation des activités de sécurité privée, exercées par des salariés sans appétence particulière pour la sécurité ni connaissance minimale en matière de sûreté des personnes et des biens.
Ces fragilités persistantes freinent le développement économique de la filière et l’empêchent d’inscrire son action dans une dynamique de coopération public-privé, alors que la Coupe du monde de rugby de 2023 et les Jeux olympiques et paralympiques de Paris de 2024 approchent. Y remédier implique une action résolue de l’État, au-delà des carences de la Loi pour une sécurité globale préservant les libertés du 25 mai 2021.
Une dynamique de marché qui mérite d’être renforcée
Très attendue, la Loi pour une sécurité globale préservant les libertés du 25 mai 2021 devait accélérer le processus de régulation économique du secteur pour restructurer la filière. À cet égard, les organisations représentatives de la profession, et en particulier le Groupement des entreprises de sécurité (GES), appelaient de leurs vœux la limitation du recours à la sous-traitance et l’instauration d’une garantie financière obligatoire.
Concernant le premier objectif, le maintien d’une sous-traitance de rang 2 par les parlementaires interroge. Si chacun comprend que, dans l’éventualité où un prestataire de rang 0 ne peut assumer seul l’entièreté d’une prestation, il lui est permis de s’entourer d’un sous-traitant de rang 1, tous se questionnent sur la permission accordée à ce sous-traitant de rang 1 de sous-traiter à son tour, étant entendu que le maintien de ce second rang est unanimement pointé du doigt par la profession pour accentuer la pression sur les prix et favoriser la fraude.
Par ailleurs, l’absence d’instauration d’une condition de garantie financière obligatoire pour les sociétés de sécurité privée, à rebours des préconisations du rapport Blot-Diederichs de 2010, de la proposition n° 49 du rapport Fauvergue-Thourot de 2018 et du Livre blanc de la sécurité intérieure du 16 novembre 2020, reste l’une des lacunes majeures de la Loi sécurité globale. Alors que ce mécanisme a été éprouvé avec succès en Espagne et en Belgique, et qu’il permet de diminuer considérablement les faillites organisées d’entreprises, les parlementaires ont raté une occasion de réhabiliter la filière française de la sécurité privée en écartant du marché les entreprises les moins vertueuses.
À l’heure où le gouvernement prépare la Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI), et où il semble acquis que les activités de sécurité privée s’y verront consacrer un chapitre à part entière, des réformes économiques s’imposent. Ces réformes devront, en outre, être complétées par des mesures plus particulièrement réservées à la formation des agents de surveillance humaine, véritable talon d’Achille de la filière, tant en matière d’attractivité que de faiblesse des prix et des marges. Suivant les prescriptions de la proposition n° 15 du rapport Cinieri-Maquet du 25 mai 2021, il est plus que jamais indispensable de renforcer la régulation de la formation aux métiers de la sécurité privée par la séparation effective des fonctions de formation et de certification de la qualification à exercer ces métiers. Le rehaussement de la qualité des prestations, directement corrélé à la reconstitution du niveau des marges, ne sera possible qu’au terme d’une réforme de la formation des agents, de nature à augmenter significativement leur niveau de professionnalisation.
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Le gain de maturité du marché de la sécurité privée passe par l’indispensable montée en gamme des acteurs de la surveillance humaine, pour renforcer ainsi l’attractivité de la filière. Cela invite par conséquent à une action déterminée de l’État en sa qualité de régulateur d’une filière longtemps livrée à une autogestion des plus délétères.
Guillaume Farde
Consultant expert en sécurité et défense
Professeur affilié à l’école d’affaires publiques de Sciences Po