L’agent de sécurité, du fait même de ses missions, est un individu amené à dire « non ». Non, vous ne pouvez pas entrer, non vous n’avez pas le droit de vous comporter comme cela, non vous ne pouvez faire telle ou telle action.
Si l’immense majorité des individus comprennent naturellement la logique derrière l’interdiction ou l’acceptent sans effusions particulières, il arrive malheureusement que d’autres s’en prennent alors physiquement à l’agent, le jugeant responsable de la règle édictée ou estimant qu’elle n’a pas à s’appliquer à lui.
Face à cette brusque éruption de violence, l’agent n’a que peu de temps pour estimer la juste réaction à adopter pour demeurer dans le cadre légal. Ce dernier est pourtant, dans la théorie, pour le moins clair.
En effet, le code de sécurité intérieure indique que : « Sauf dans le cas de légitime défense prévue aux articles 122-5 et 122-6 du code pénal, les acteurs de la sécurité privée ne doivent jamais user de violences, même légères » (article R631-10 CSI).
Le recours à la violence reste donc bien cet interdit fort, cette limite qui ne doit pas être banalisée, à peine contrebalancé par cette exception qu’est la légitime défense. Que recouvre donc exactement cette notion ? Existe-t-il un autre principe juridique connexe également applicable en de telle situations ? C’est ce que nous allons voir tout de suite.
La légitime défense : de la théorie à la pratique
La légitime défense est un principe juridique défini à l’article 122-5 du Code Pénal. La loi y précise que « n’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte ».
Le texte contient en son sein l’ensemble des critères indispensables et cumulatifs nécessaires pour que soit reconnu la légitime défense en faveur d’un individu. Nous appuierons nos propos sur une jurisprudence entièrement consacrée aux agents de sécurité.
Les critères de l’agression
Les premiers critères à examiner reposent sur l’attaque de l’agresseur. Celle-ci doit en effet être actuelle ce qui implique une notion de temporalité mais aussi de physicalité. Le danger doit ainsi être réel et ne pas résulter de simples menaces ou insultes. La Cour d’appel de Paris en 2002[1] a ainsi exclu la légitime défense d’un agent de sécurité qui a utilisé une arme de catégorie D pour maitriser un individu auteur de simples insultes.
Pour les juges, sans agression physique caractérisée il ne peut y avoir de légitime défense. Encaisser l’agressivité verbale d’autrui est un défi qui se pose à de nombreux agents. Ne pas y répondre et conserver son calme est un véritable enjeu professionnel.
L’attaque doit enfin être injustifiée ce qui signifie que l’agent ne doit pas par son comportement ou son action avoir provoqué l’agression. Tout est ici affaire d’interprétations et de compréhension globale de la situation.
Un travail somme tout bien difficile qui reviendra in fine à la justice chargée de faire la lumière sur les évènements litigieux. C’est ici que le savoir-être, les techniques de gestion de conflits et d’écoute active doivent permettre à l’agent de conserver un caractère irréprochable et transmettre par son comportement la sérénité de l’individu conscient de la logique de sa consigne et de l’importance de la règle qu’il fait respecter.
Ce langage aussi bien corporel que verbal est central lorsque l’on se trouve en contact du public. Toute manifestation d’agressivité verbale ou physique pourrait être considéré comme facteur déclencheur et rendre caduque le caractère injustifié de l’attaque.
Ajoutons que bien souvent le personnel de sécurité est filmé par de multiples caméras et téléphones portables, amplifiant voire déformant tout potentiel dérapage. Ces outils de captation sont autant un moyen de preuves qu’un dispositif prompt à exacerber les tensions et le stress d’une intervention.
Les conditions de la défense
S’il existe des critères liés à l’attaque, des conditions strictes s’appliquent également à la défense exercée. L’article 122-5 est clair, celle-ci doit être immédiate, nécessaire et proportionnée.
L’immédiateté suppose que l’individu agressé se défende au moment de l’attaque et non a priori ou a posteriori. Il faut donc savoir conserver son sang-froid et ne pas vouloir se faire justice à soi-même si un individu vous frappe puis s’enfuit immédiatement. Un exemple jurisprudentiel illustre bien ce cas.
L’affaire se déroule devant une boite de nuit, lieu malheureusement propice aux débordements et aux excès. En l’occurrence ici[2] un agent de sécurité a été condamné pour violences volontaires car il avait poursuivi un individu alcoolisé sur un parking et fait usage d’un taser sur ce dernier, après l’avoir préalablement accompagné vers la sortie.
La justice a considéré que l’individu n’était alors plus une menace, d’autant que le tir avait été effectué dans le dos de la victime. Les juges ont donc par conséquent rejeté la légitime défense du fait de l’absence d’immédiateté. Du reste sur ce cas, un deuxième critère n’était également pas rempli, celui de la nécessité. Nous y venons.
La nécessité en effet implique que l’individu agressé n’a d’autres choix que de se défendre physiquement. Cette condition est véritablement centrale car les juges chercheront toujours à savoir si l’agressé ne disposait pas d’une possibilité de s’enfuir et donc d’échapper à l’agression.
La nécessité crée une sorte de dilemme pour l’agent de sécurité privée puisqu’il doit lutter contre les atteintes aux biens et aux personnes. On attend généralement de lui qu’il intervienne, qu’il ne laisse pas faire mais il doit en même temps réfléchir de manière plus globale à la sécurité de son site, à celle de son personnel et à la sienne propre bien évidemment.
Rappelons ici que lorsque plusieurs priorités sont en jeu, il importe qu’un agent de sécurité fasse de la préservation de la vie humaine un impératif catégorique. S’extraire du danger, faire appel aux forces de l’ordre, organiser une évacuation, accumuler le maximum de preuves d’un délit en cours, bref ne pas s’exposer directement est un comportement responsable et hautement professionnel.
Enfin, le dernier critère d’appréciation de la défense d’un individu a trait à la proportionnalité de la riposte. Cela semble relever du bon sens, l’action violente que l’on accomplit pour se défendre doit être proportionnelle à la violence que l’on subit soi-même. Précisons directement ici que, contrairement à une idée reçue, « proportionnalité » ne signifie pas « symétrie ».
Concrètement, il ne faut pas forcément répondre à un coup de poing par un autre coup de poing. On pourra pour s’en convaincre se référer à une décision de la Cour de cassation du 24 février 2015[3] où un agent de sécurité posté à l’entrée d’un bar a été agressé avec un cutter.
L’agent a répliqué avec un coup de matraque pour désarmer l’individu mais cette action n’ayant pas été suffisante pour décourager l’agresseur, il a dû faire usage également d’une bombe lacrymogène. La Cour a estimé que les faits, appuyés par les témoignages et les éléments de la vidéoprotection étaient bien constitutifs de la légitime défense, l’agent ayant dû multiplier les actions pour mettre fin à la menace directe pour sa vie.
Une attaque réelle, actuelle et injustifiée ; une défense nécessaire, proportionnelle et immédiate, tels sont les éléments à garder dans un coin de son esprit lorsque l’on se défend physiquement face à une agression. Gageons qu’il faut être un professionnel aguerri et entrainé pour pouvoir conserver tout sa mesure lorsque le stress et l’adrénaline envahit son corps et que sa propre vie est menacée !
Présomptions et alternatives
Notre survol sur la légitime défense ne saurait être complet s’il n’était pas mentionné ici les deux cas de présomptions de légitime défense prévus à l’article 122-6 du code pénal.
La loi prévoit en effet une présomption de légitime défense lorsque l’on doit repousser de nuit, une entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité. La présomption reste simple, ce qui signifie que le procureur ou la partie adverse peut apporter des preuves de nature à exclure la légitime défense.
Enfin, mentionnons également l’article 122-7 qui encadre le principe de l’état de nécessité, une « alternative », si l’on peut dire, à la légitime défense. Ce texte prévoit en effet la possibilité d’écarter la responsabilité pénale d’un individu alors même qu’il aurait accompli un acte interdit voire illégal.
La justification ici est celle d’un danger imminent et menaçant la vie d’un individu dès lors que l’acte illégal reste proportionnel à la menace. Si la proportionnalité de l’acte sera toujours appréciée par le juge, l’état de nécessité, contrairement à la légitime défense peut en réalité s’appliquer y compris en dehors d’une situation d’agression physique.
On pourrait ainsi envisager l’hypothèse d’un agent de sécurité obligé de casser la vitre d’une voiture pour secourir un nourrisson enfermé à l’intérieur en pleine canicule, ou encore un agent obligé de détruire une porte pour permettre de secourir des individus pris aux pièges dans un incendie. Ces deux actions de dégradation d’un bien peuvent être assimilées à un délit mais elles sont effectuées pour mettre un terme à un danger plus important.
Les agents de sécurité, comme tout corps de métier devant faire respecter des règles, sont en butte à des individus prêts à user de la force physique pour les contourner. La légitime défense est le moyen légalement autorisé d’appliquer la violence pour mettre fin à la violence.
Si les six conditions cumulatives sont limpides et font preuve d’une véritable logique théorique, encore faut-il considérer le fait que dans la réalité tout cela se déroule en des temps très courts et font appel à des réflexes, des instincts, des impulsions notamment pour des agents de sécurité, n’ayant pas de formations règlementaires régulières dans la gestion de ces violences physiques.
L’appréciation au cas par cas par les juges reste la norme et il est difficile y compris dans le cadre de la formation de proposer des mesures d’actions et des solutions toutes faites.
Raison pour laquelle l’essentiel des réflexes et habitudes du métier se concentrent sur les techniques de désescalade verbale. Il n’empêche que certains lieux, bars, boites de nuit, centres commerciaux sont plus propices à ce genre de débordements.
Entre des individus alcoolisés, consommateurs de substances, dont les facultés de raisonner sont altérées et des agents de sécurité désireux de faire correctement leur travail pour la sécurité de tous, le risque est parfois bien grand.
[1] https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000006941536
[2] https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000032161379
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000030300475?utm