« Le contrôle coûte plus cher que la confiance »
À 33 ans, Cécile Frutos est DRH du Groupe SGP, une entreprise de sécurité, surveillance par agents et gardiennage, basée à Metz. Sous son impulsion, et celle de Florian Pette, jeune patron de 36 ans, SGP a révolutionné sa façon de fonctionner et superforme depuis lors. C’est pour ces raisons, à la fois humaines et économiques, que le Groupe SGP a reçu le 12 juin dernier le Prix de l’Initiative RH de l’année, lors d’une cérémonie organisée par Cadremploi, Hudson et Le Figaro Économie.
Brainlinks : Quel est le virement managérial qu’a opéré SGP ?
Cécile Frutos : Je suis arrivée chez SGP en 2014. Florian Pette, le fondateur de l’entreprise, était déjà en recherche d’une nouvelle formule managériale, qui continue à satisfaire les clients tout en apportant du bien être aux salariés. Il voulait revaloriser le métier de la sécurité et était très sensible à l’ambiance de travail. J’ai rejoint l’entreprise notamment car je partage cette vision, j’accorde beaucoup de valeur à la reconnaissance et je suis persuadée que faire marcher une entreprise n’empêche pas de respecter les individus qui la composent. Un an après mon arrivée, en 2015, on entamait la démarche d’entreprise libérée. Un jour, alors que je venais de voir le documentaire Le bonheur au travail sur Arte et, j’en parlais à la machine à café, Florian Pette est passé par là et a tendu l’oreille. Intrigué, il l’a regardé en replay et ça a tout de suite fait écho chez lui. Quelques jours plus tard, il était justement invité à une conférence d’Isaac Getz, ce qui a fini de le décider. Dans ce documentaire, c’est frappant de voir que les organisations ayant mis en place cette politique d’entreprise libérée grandissent, prospèrent, et cela avec moins de stress au travail. C’est un cercle vertueux !
B : Quelles sont les étapes que vous avez dû suivre ?
CF : On a été suivi par Laurent Marbacher, qui accompagne plusieurs entreprises françaises sur la voie de la libéralisation. Il nous avait conseillé d’organiser un évènement fondateur, qui marquerait un tournant pour la boite. Après quelques mois de réflexion, nous avons donc réuni les salariés lors d’une journée « Libère ta boîte ». C’était l’opportunité de définir ensemble les valeurs de l’entreprise, de redonner du sens au terrain. Nous voulions interroger les agents sur ce qu’ils aimaient chez nous, afin de ne surtout pas changer ce qui leur plaisait mais de définir les thématiques sur lesquelles nous voulions travailler. L’une des questions centrales que nous avions était de déterminer comment accroitre le sentiment d’appartenance de nos salariés, alors qu’ils passent 90% de leur temps chez le client. Ensuite, il nous a fallu partager le pouvoir, faire confiance aux agents sur le terrain. Sur certains sites, nous avions déjà des chefs référents, à qui nous avons redonné du sens à leur fonction; sur d’autres, nous avons testé la nomination de leaders que nous avons formés. Les leaders veillent à la satisfaction du client mais aussi au bien-être des salariés. Ils sont accompagnés par des managers qualité (anciennement appelés contrôleurs) qui les épaulent sur le terrain. Après, le chemin est long, il y a encore des réflexes à désapprendre, ça ne fait après tout que 18 mois qu’on s’est lancé. Le process de l’entreprise libérée dure 4 ou 5 ans habituellement.
Ce qui compte, c’est le résultat,
chacun s’autogère
B : Quel est le plus grand symbole du changement dans l’entreprise ?
CF : Au début, c’était des petites choses, Florian Pette a commencé à m’appeler la DRH du bonheur par exemple ! Et puis il a voulu bannir les symboles. Il a abandonné son bureau et travaille depuis en open space avec les commerciaux. Par ailleurs, nous ne contrôlons plus les horaires de travail des services administratifs qui s’autogèrent, nous faisons confiance. Ce qui compte, c’est le résultat, et chacun s’organise. Pour les travaux récemment engagés dans nos locaux, chaque service a décidé de la couleur de son nouveau bureau. Ça peut paraitre anecdotique mais chacun s’est approprié l’espace et le message envoyé est : « On n’impose pas, on vous fait confiance ». Le contrôle coûte plus cher que la confiance.
B : Qu’est-ce que ça change concrètement dans votre travail de DRH ?
CF : Je deviens davantage un appui managérial, une accompagnatrice. Un exemple concret, c’est le recrutement. Avant, tout se passait au siège, sans que le terrain n’intervienne. Maintenant, j’organise des sessions de recrutement et lorsqu’il s’agit d’un site géré par un leader, ce dernier choisit les candidats car il connait mieux que moi leurs besoins. Les leaders sont donc inclus dans le processus de décision, je leur fais totalement confiance et ils sont tout aussi capables de gérer un recrutement. Un critère important pour nous, c’est la flexibilité et la disponibilité. C’est un métier difficile en terme d’alternance vie privée et vie professionnelle, mais nous avons des dispositifs qui la facilitent. Les agents peuvent notamment choisir leur planning en accord avec leur manager, sans passer par le siège. Nous avons ainsi vu les arrêts maladies chuter car les agents s’arrangent entre eux entre les plannings, la bienveillance règne. Personnellement, j’ai toujours accordé une grande importance aux sujets de qualité de vie au travail et à l’équilibre entre vie pro et vie perso. Je pense que tous les D RH devraient se préoccuper du développement personnel de leurs effectifs, et placer la reconnaissance au cœur de leur réflexion.
L’équipe du Groupe SGP à la cérémonie de l’Initiative RH de l’année
B : Quel est le lien entre libération de l’entreprise et performance ?
CF : L’investissement dans le bien-être des salariés est rentable. Nous étions 185 à mon arrivée chez SGP il y a trois ans et demi, nous sommes 400 aujourd’hui, et nous avons une croissance de 30% depuis la création. Notre turnover est trois fois inférieur à la moyenne nationale (19% au lieu de 60%), nous n’avons aucun dossier aux prud’hommes, et 98% des clients sont fidèles. Nos leaders prennent soin de leurs collègues et au siège, nous faisons confiance aux gens pour se gérer en autonomie. Un exemple de l’impact de ce nouvel état d’esprit, c’est en décembre 2015, quand notre patron a été contacté par le marché de noël de Strasbourg. Il y avait un besoin de prestataires supplémentaires, au dernier moment. Florian Pette n’a pas donné son accord immédiatement, il a répondu : « Je vous dis ça demain, ce sont mes équipes qui vont décider. » En interne, nous aurions très mal vécu ce marché de noël s’il nous avait été imposé. Nous aurions assuré la mission, bien sûr, mais de mauvaise grâce. Là, notre dirigeant a cherché à savoir si c’était possible, il nous a demandé notre avis et du coup, tout le monde s’est arrangé pour réaliser cette mission imprévue.