Armement dans la sécurité privée : qu’apporte le nouveau décret ?
Entré en vigueur le 1er janvier 2018, le décret 2017-1844 permet aux agents de sécurité d’effectuer des missions de surveillance armée. Ce texte fait suite à la loi sur la sécurité publique du 28 février 2017 qui avait introduit cette évolution. Il vient mettre de l’ordre dans une réglementation qui n’a pas changé depuis plus de 30 ans et qui ne permettait pas d’encadrer l’exercice d’une activité de sécurité privée avec le port d’une arme. Au-delà des changements qu’il apporte, ce décret s’affiche comme une révolution culturelle.
Un encadrement juridique plus solide
Le port d’arme pour les agents de sécurité privée n’est pas une nouveauté. Les transporteurs de fonds et de valeurs, les personnes intervenant dans la protection des navires et sites nucléaires ou encore les agents de protection rapprochée de personnalités potentiellement menacées peuvent être déjà équipés d’armes de poing. Le récent décret élargit le champ d’action de l’armement des agents et solidifie l’encadrement juridique. Ainsi les agents définis par les articles 611-1 et 611-1 bis pourront être prochainement armés. Le premier article représente les agents de surveillance humaine et de gardiennage. Ils pourront être équipés d’armes non létales, de catégorie D : matraques, bâtons de défense et générateur d’aérosols incapacitant ou lacrymogènes. Quant au second, il évoque les agents armés exerçant dans des lieux « surveillés à un risque exceptionnel d’atteinte à leur vie ». Ils auront le droit de posséder des armes de catégorie B, comme le revolver calibre 38, de catégorie D voire des armes de poing ou d’épaule s’ils exercent dans des lieux nucléaires et militaires sensibles.
Pour pouvoir effectuer une mission armée, un agent doit respecter plusieurs conditions strictes. Il doit en effet posséder un casier judiciaire vierge, avoir un certificat médical et psychiatrique valide et datant de moins d’un mois, être titulaire d’un Certificat de Qualification de Professionnelle spécialisé et avoir effectué une formation dans des centres agréés (d’après Claude Tarlet, elle sera aussi exigeante que celle donnée aux policiers français et durera 200h).
L’affection de la mission est décidée par le préfet du département. La demande doit être sollicitée par l’entreprise de sécurité privée, sur requête écrite de son client. Pour que la permission soit accordée, il faut que le mandataire justifie la nécessité d’avoir recours à des agents armés. L’autorisation est valable un an et renouvelable dans les mêmes conditions.
Un décret marginal… et révolutionnaire
Le nombre d’agents concernés devrait osciller entre 1000 et 2000. Les conditions d’affectation complexes vont limiter fortement le déploiement des agents armés. En effet, pour qu’une entreprise de surveillance effectue ce nouveau type de mission, elle devra avoir l’aval de deux parties extérieures : son client et le préfet du département, qui sera garant de la décision finale. L’Etat a donc un contrôle total sur l’application du décret, et peut intervenir à tout moment. Nous sommes bien loin d’une banalisation de l’armement des agents de sécurité. Ils se concentreront sur les lieux stratégiques, sensibles et clos.
Cette marginalisation peut être bénéfique pour le secteur de la sécurité privée. Le décret établit une révolution culturelle forte. Ainsi, des personnes n’exerçant pas sous l’autorité étatique, pourront être équipées légalement d’armes dans un espace ouvert au public. Ce changement de paradigme inquiète les associations des droits de l’homme. Elles craignent notamment que le texte 2017 – 1844 sera un transfert de compétence entre les forces régaliennes et les entreprises de surveillance. Dans de multiples interviews données les jours qui ont suivi l’officialisation du décret, Claude Tarlet, président de l’USP, a tenu à préciser et rappeler une position ancrée chez les syndicats professionnels : les agents armés seront uniquement un soutien pour les forces de l’Etat. La sécurité privée souhaite contribuer à la défense de la Nation, sans empiéter sur les champs d’action des policiers, gendarmes ou militaires.
Néanmoins l’application du décret reste très surveillée. Jacques Toubon, Défenseur des Droit, a même rappelé qu’au titre de sa mission « Respect de la déontologie des professionnels de la sécurité », il pouvait intervenir en cas de débordement.
Des points à préciser
Les premiers agents armés exerceront à partir de septembre 2018. Auparavant, le législateur devra statuer sur plusieurs points, comme le contenu des programmes de formation, la fréquence des entrainements, les lieux publics où il sera possible d’intervenir… En effet, certains monuments, enceintes sportives ou médias peuvent être considérés comme des lieux sensibles voire plus.
Est-ce pour autant que des agents seront autorisés à exercer à ces endroits ?
Enfin, dans quelles conditions l’agent peut utiliser son arme ? Le décret stipule que la légitime défense est la seule possibilité. Pour rappel, cette dernière repose sur quatre points : l’injustice des faits (une agression par exemple), une réaction immédiate et non différée, nécessaire (la riposte doit être la seule issue) et proportionnelle. Le dernier point est le plus important car il ne doit pas y avoir une trop grande disproportion entre la riposte de l’agressé face à l’attaque de l’agresseur. En cas de non-respect de la légitime défense, qui est le responsable ? L’agent, l’entreprise de sécurité ou le client ? Toutes ces questions devront trouver une réponse.
Sous le feu des projecteurs, la sécurité privée doit montrer patte blanche et être irréprochable. Le moindre écart pourrait être suivi d’un raz de marée médiatique, aux conséquences désastreuses. L’Etat doit donc terminer de statuer sur l’armement, pour éviter le risque que l’opinion publique confonde sécurité et milice privée.